Devant la bronca soulevée par sa décision de toucher à l’aide dont bénéficient les personnes âgées employant un salarié à domicile, révélée lundi, le gouvernement a décidé de battre en retraite.
La mesure n’aura pas tenu quarante-huit heures. Devant la bronca soulevée par sa décision de raboter l’aide fiscale dont bénéficient les personnes âgées employant un salarié à domicile, révélée lundi 23 septembre par Les Echos, le gouvernement a décidé de battre en retraite sans attendre.
« J’ai demandé à la ministre du travail [Muriel Pénicaud] de renoncer à cette mesure », a annoncé le premier ministre, Edouard Philippe, lors des questions au gouvernement, mardi après-midi à l’Assemblée nationale, expliquant que « cette décision aurait mérité une concertation beaucoup plus approfondie ».
Vers la réduction d’une aide fiscale pour les personnes de plus de 70 ans employant une aide à domicile
Prévue dans le projet de loi de finances pour 2020, qui doit être présenté vendredi 27 septembre en conseil des ministres, la mesure consistait à réserver l’exonération totale de cotisations patronales, accordée aux personnes de plus de 70 ans employant un salarié à leur domicile, aux seuls seniors en situation de dépendance ou de handicap. Ce coup de rabot aurait touché quelque 700 000 personnes et aurait permis d’économiser 115 millions d’euros, avait calculé le ministère du travail.
Selon différentes sources, la mesure avait été validée par Bercy comme par Matignon. « Il y a eu plusieurs réunions interministérielles et personne n’a allumé de feu rouge », assure un conseiller. Dans un premier temps, l’exécutif avait même défendu le choix de Muriel Pénicaud. « Un budget se construit en faisant des choix », avait déclaré la porte-parole du gouvernement Sibeth Nidaye, expliquant qu’il fallait « recentrer les choses pour que les aides s’adressent aux personnes qui en ont le plus besoin ». « Il n’y a pas d’économies faites sur le dos des retraités. Il y a au contraire plus de moyens pour la dépendance », avait abondé Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics.
Opposition des députés macronistes
Mais c’était sans compter sur le tollé provoqué par cette mesure parmi les députés de La République en marche (LRM) et du MoDem. Mardi matin, lors du petit-déjeuner de la majorité, le patron du parti présidentiel, Stanislas Guerini, et le chef de file des députés centristes, Patrick Mignola, ont exprimé leur opposition commune à ce projet, en présence d’Edouard Philippe, au motif qu’un budget de baisse des impôts « doit être clair et avec le moins de contre-signaux possibles ».
« La mesure qui semble avoir fuité dans la presse nous paraît devoir être réinterrogée », a expliqué M. Mignola lors d’un point presse à l’Assemblée, soulignant que c’était « la position unanime » de son groupe. « Il faut replacer ce sujet dans un contexte global au moment où la société française doit penser toute la question de ces dernières étapes de la vie. Les grandes réformes qui arrivent, c’est retraite et dépendance », a rappelé l’élu centriste.
Même opposition chez les députés macronistes. Alors que leur traditionnelle réunion de groupe à l’Assemblée devait être consacrée à l’immigration, pour préparer le débat prévu sur le sujet le 30 septembre, plusieurs membres de la commission des finances ont pris la parole pour dire leur mécontentement sur la méthode employée.
Olivia Grégoire (Paris) et Laurent Saint-Martin (Val-de-Marne) ont notamment exprimé leur « ras-le-bol » d’apprendre des mesures sur les niches fiscales par voie de presse, sans en avoir été mis au courant, au préalable, par Bercy. « Impossible d’attaquer le budget 2020 comme cela, juge M. Saint-Martin. Un budget, cela se raconte. Et la, ça vient brouiller les messages de baisse des prélèvements obligatoires, et notamment envers les seniors. ».
Renouer avec un électorat stratégique
« La politique du rabot n’est pas et n’a jamais été une politique budgétaire, abonde la porte-parole de LRM, Aurore Bergé. L’entrée par le critère d’âge n’est pas un bon critère. » Bilan dressé par la vice-présidente des députés macronistes, Marie Lebec, mardi midi : « La mesure fait plutôt l’unanimité contre elle dans le groupe. Le sentiment général est de dire qu’on aimerait une politique globale de la dépendance plutôt qu’une approche par mesure. »
Au-delà des questions de forme, c’est le coût électoral d’une telle réforme, à six mois des élections municipales, qui était pointé du doigt. « Cela risque de nous remettre à dos les plus de 65 ans, alors que c’est la catégorie qui vote le plus pour nous ! », s’inquiétait un poids lourd de la majorité, avant le recul de l’exécutif. Surtout, cette mesure ciblant les plus de 70 ans mettait en péril tous les efforts menés par l’exécutif pour reconquérir l’électorat senior.
Alors que les personnes âgées s’estimaient malmenées par le gouvernement depuis le début du quinquennat, du fait notamment de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la désindexation des pensions, l’exécutif avait tenté de renouer avec cet électorat stratégique – qui s’abstient moins que la moyenne – avant les européennes de mai, en multipliant les gestes de bonne volonté en leur direction. Dès décembre 2018, Emmanuel Macron avait renoncé à augmenter la CSG pour les retraités gagnant plus de 2000 euros par mois. Fin avril, il avait aussi décidé de réindexer les pensions sur l’inflation à partir de 2021. Le coup de rabot risquait d’anéantir tous ces efforts, reconnaît-on au sein de l’exécutif.
Par ailleurs, passer en force avec cette mesure ne cadrait pas avec l’esprit que le chef de l’Etat entend donner à l’acte II du quinquennat. « On ne peut pas à la fois dire qu’on va être davantage à l’écoute et sortir des mesures du chapeau sans prévenir », s’agace un conseiller. Edouard Philippe l’a dit sans ambages à l’Assemblée nationale : cette mesure n’est pas « conforme à ce que je fixe comme objectif et ce que je veux suivre comme méthode s’agissant de l’acte II du quinquennat ».
Pas question de jeter de l’huile sur le feu
Selon nos informations, le premier ministre et Emmanuel Macron ont échangé mardi matin sur le sujet et ils ont décidé d’un commun accord d’y mettre un terme.
Cette polémique risquait également de polluer le lancement du grand débat sur la réforme des retraites, que le président doit assurer lui-même lors d’un échange avec un panel de 500 Français, prévu jeudi 26 septembre à Rodez, dans l’Aveyron, et censé incarner la nouvelle méthode de l’exécutif. « L’Acte II rentre dans l’atmosphère cette semaine, avec le débat de Rodez jeudi, la présentation du budget vendredi et le débat sur l’immigration lundi prochain. Il ne faut pas se laisser désarçonner par une nouvelle friction », explique-t-on à l’Elysée.
Pas question, non plus, de jeter de l’huile sur le feu, alors que les foyers de tension sociaux se multiplient dans le pays, entre la mobilisation des syndicats contre la réforme des retraites, les marches pour le climat, la crise des urgences hospitalières, ou la résurgence des « gilets jaunes »…
Macron surveille de près le volcan de la contestation sociale
Pas besoin, non plus, de se mettre à dos la majorité parlementaire, alors que le débat à venir sur la politique migratoire, voulu par M. Macron, suscite des critiques en interne, en particulier de la part de l’aile gauche. « Les vents ne sont pas de face [mais] certains sont de traverse et il faut être précautionneux », a souligné le chef de l’Etat, le 16 septembre, devant les parlementaires LRM et MoDem. Comprendre : la prudence est désormais de mise.